Avant-propos / Prólogo
Liliana Diaz et Baptiste Godrie
Y a-t-il une philosophie propre à l’Amérique Latine? Peut-on produire une science spécifiquement latino-américaine? Voici les questions qui animaient les débats à l’Université Nationale de Bogota lorsque je faisais mes études en droit et philosophie au début des années 1990[1]. Largement alimentées par l’œuvre de Fals Borda, bien connue dans les milieux intellectuels colombiens et latino-américains, ces questions ne restaient pourtant pas confinées à l’intérieur des murs universitaires. Je les ai retrouvées plus intenses et remplies d’un sens plus profond lorsque j’ai travaillé avec les organisations non gouvernementales et communautaire à Medellin et que j’ai eu l’occasion de participer aux rencontres préparatoires du congrès national de 1997 (Congreso de Convergencia Participativa, 1997). La pratique des sciences sociales dans une société profondément inégalitaire, frappée par un conflit armé interne depuis des décennies, a toujours exigé des universitaires un exercice de questionnement permanent sur la pertinence de leurs cadres théoriques et sur leurs relations avec les acteurs communautaires faisant partie de leurs recherches.
Convaincue de pouvoir enrichir ma formation par un échange de cultures, je suis partie à Genève pour des études de maîtrise grâce à une bourse d’études. À ma grande déception, l’approche pédagogique ne faisait aucune place aux connaissances apportées par les apprenant-e-s. Professionnel-le-s de multiples disciplines en provenance de nombreux pays du monde, fins connaisseurs et connaisseuses des réalités de nos pays, nous n’avions aucun espace pour partager nos connaissances avec nos camarades d’études et n’étions perçu-e-s que comme simples réceptacles pour la « bonne connaissance ». Malgré le respect que j’avais pour le travail de mes enseignant-e-s, je partageais la frustration de plusieurs de mes collègues face à cette situation. C’est alors que la notion de « colonisation des savoirs » m’est apparue sous un nouvel angle, d’autant plus nuisible que j’évoluais dans le domaine du développement international.
À la même époque, un enseignant nous présenta des articles qui abordaient la recherche-action participative (RAP) comme une « nouvelle approche », traitée par des auteurs et autrices qui ne faisaient aucune mention à Orlando Fals Borda, pourtant déjà bien connu dans la littérature anglophone. J’ai alors pensé qu’il y avait peut-être un lien entre les deux situations. La méconnaissance dans le milieu académique francophone de l’œuvre de Fals Borda n’était peut-être que le reflet d’un rapport plus généralisé avec les savoirs des Suds. Toujours est-il que l’absence de traductions des travaux de Fals Borda en langue française expliquerait, au moins en partie, l’absence de références à son œuvre. Mais elle révèle probablement aussi une réalité plus profonde et largement déterminée, entre autres, par la présence de communautés linguistiques relativement étanches dans la production scientifique. Une réalité sur laquelle l’œuvre de Fals Borda a certainement des pistes à nous fournir. À la suite de ces réflexions, j’ai eu l’occasion d’apporter quelques éléments sur l’éthique de la recherche à partir de la RAP (Diaz, L., 2003).
Plusieurs années plus tard, j’ai reçu avec grand bonheur la proposition de Florence Piron de produire une anthologie de Fals Borda en français. Profondément engagée dans la promotion de la science ouverte et de la justice cognitive, Florence avait découvert récemment l’œuvre de Fals Borda lors de sa participation au congrès de l’ARNA en 2017 à Carthagène. Reconnaissant immédiatement l’envergure de l’œuvre, elle a vu l’importance de lui faire une place dans sa collection Mémoires du Sud. Je tiens donc à remercier Florence pour cette magnifique initiative qui m’a aussi permis d’avoir une collaboration très enrichissante avec Baptiste et avec une équipe de traduction et de révision composée de personnes extraordinaires. Je tiens à les remercier toutes et tous d’avoir rendu possible ce projet qui, nous espérons, pourra contribuer à enrichir les échanges de connaissances entre les Suds et les Nords.
Liliana Diaz
C’est en 2006 que j’ai croisé pour la première fois l’œuvre de Fals Borda alors que je débutais avec deux collègues, Aude Fournier et Christopher McAll, une recherche-action participative et évaluative. Les travaux de Fals Borda me donnaient, parmi d’autres, une bouffée d’air frais dans un cursus universitaire de sociologie qui n’abordait pas les recherches participatives et les enjeux épistémologiques, éthiques et méthodologiques qu’elles soulèvent. Cet auteur occupe encore aujourd’hui une place privilégiée dans mes réflexions sur le développement et l’expérimentation de relations plus égalitaires avec les personnes/groupes avec lesquel-le-s je réalise des projets de recherche.
Pour préparer cette anthologie, j’ai eu le plaisir de me plonger plus en profondeur dans ses œuvres pour identifier des textes présentant une cohérence thématique sur la décolonisation des sciences sociales, de rédiger des courtes présentations de ces textes et de m’atteler à l’écriture de l’introduction. Je ressors de ce travail inspiré à plusieurs égards devant la pensée en perpétuel mouvement de cet intellectuel qui n’a jamais craint de prendre position sur les enjeux les plus brulants de son époque.
J’espère que la publication de cette anthologie de textes suscitera la curiosité envers le reste de son œuvre, et ses développements contemporains sous la plume d’autres chercheuses et chercheurs, qu’elle contribuera à lui donner sa juste place dans le paysage des sciences sociales francophones et renforcera les dialogues Suds-Nords.
Un immense merci à Liliana et à Florence d’avoir lancé l’idée de ce projet et de m’y avoir fait une place, ainsi qu’à toute l’équipe de collègues traductrices et traducteurs, et réviseuses et réviseurs.
Baptiste Godrie
Prólogo
¿Existe una filosofía propia de América Latina? ¿Es posible producir una ciencia específicamente latinoamericana? Estas eran algunas de las preguntas que animaban los debates en la Universidad Nacional de Bogotá cuando yo estudiaba derecho y filosofía a principios de los años 90. Alimentadas en gran parte por la obra de Fals Borda, bien conocida en todos los ámbitos intelectuales colombianos y latinoamericanos, estas preguntas no estaban sin embargo confinadas al interior de los muros universitarios. Las escuché formuladas de un modo más intenso y con un sentido aún más profundo cuando trabajé con las organizaciones no gubernamentales y comunitarias en Medellín y tuve la oportunidad de participar en los encuentros preparatorios del Congreso de Convergencia Participativa en 1997. La práctica de les ciencias sociales en una sociedad profundamente inequitativa, golpeada por un conflicto armado interno durante decenios, ha exigido de los universitarios un ejercicio de cuestionamiento permanente sobre la pertinencia de sus marcos teóricos y sobre las relaciones con los actores comunitarios que hacen parte de sus investigaciones.
Convencida de poder enriquecer mi formación por medio de un intercambio de culturas, viajé a Ginebra a realizar una maestría gracias a una beca de estudios. Para mi decepción, el enfoque pedagógico no dejaba lugar alguno a los conocimientos aportados por los aprendices. Profesionales de múltiples disciplinas, provenientes de numerosos países del mundo y conocedores de las realidades de nuestros países, no teníamos ningún espacio para compartir nuestros conocimientos con nuestros compañeros de estudios y no éramos considerados más que como simples receptáculos para el “buen conocimiento”. A pesar del respeto que sentía por el trabajo de mis profesores, compartía la frustración de muchos de mis compañeros frente a esta situación. Fue entonces cuando la noción de “colonización de saberes” adquirió un nuevo sentido para mí, aun mas pernicioso dado que realizaba mis estudios en el campo del desarrollo internacional.
Por esos días, un profesor nos presentó algunos artículos que abordaban la investigación – acción participativa (IAP) como un «nuevo» enfoque, tratado por autores que no hacían mención alguna del trabajo de Fals Borda, aun cuando éste era ya bien conocido en los medios anglófonos. Entonces pensé que tal vez existía una relación entre esas dos situaciones. El desconocimiento de la obra de Fals Borda en el medio francófono era tal vez el reflejo de una relación más generalizada con los saberes de los Sures. De cualquier modo, la ausencia de traducciones de los trabajos de Fals Borda al francés explicaría, al menos en parte, la ausencia de referencias a su obra. Pero dicha ausencia expresa probablemente también una realidad más profunda y ampliamente determinada, entre otros factores, por la existencia de comunidades lingüísticas relativamente herméticas en la producción científica. Realidad sobre la cual Fals Borda puede sin duda ofrecernos algunas pistas. Como consecuencia de estas reflexiones, tuve la ocasión de aportar algunos elementos sobre la ética de la investigación a partir de la IAP (Diaz, L., 2003).
Muchos años más tarde, fue para mí un placer recibir la propuesta de Florence Piron de producir una antología de Fals Borda en francés. Profundamente comprometida en la promoción de la ciencia abierta y de la justicia cognitiva, Florence había descubierto recientemente la obra de Fals Borda durante su participación en el congreso del ARNA en 2017 en Cartagena. Al reconocer de inmediato la dimensión de este trabajo, consideró la importancia de incluirlo en su colección Mémoires du Sud. Quiero agradecer a Florence por resta maravillosa iniciativa que me permitió además colaborar con un equipo de traducción y de revisión compuesto de personas sumamente valiosas. Quiero agradecerles a todos y todas por haber hecho posible este proyecto, el cual esperamos podrá contribuir a enriquecer el intercambio de saberes entre los Sures y los Nortes.
Liliana Diaz
Fue en el 2006 que crucé por primera vez la obra de Fals Borda cuando comenzaba con dos colegas, Aude Fournier et Christopher McAll, una investigación – acción participativa y evaluativa. Los trabajos de Fals Borda me aportaban, entre otros, un respiro de aire fresco en medio de un programa universitario de sociología que no abordaba las investigaciones participativas y los retos epistemológicos, éticos y metodológicos que ellas plantean. Este autor ocupa, aun hoy, un lugar privilegiado en mis reflexiones sobre el desarrollo y la experimentación de relaciones más igualitarias con las personas y los grupos con los cuales realizo los proyectos de investigación.
Para preparar esta antología, tuve el placer de profundizar en sus escritos para identificar los textos que presentan una coherencia con la temática de la descolonización de las ciencias sociales, de redactar unas presentaciones cortas de los textos y de consagrarme a la redacción de la introducción. Al final de este esfuerzo me encuentro inspirado en muchos sentidos por el pensamiento en perpetuo movimiento de este intelectual que nunca temió tomar posición frente a los problemas más álgidos de su época.
Espero que la publicación de esta antología de textos despierte la curiosidad hacia el resto de su obra y sus desarrollos contemporáneos bajo la pluma de otros investigadores et investigadoras, que contribuya a otorgarle su lugar en el paisaje de las ciencias sociales francófonas y que refuerce los diálogos entre Sures y Nortes.
Un gran agradecimiento a Liliana y a Florence por haber lanzado la idea de este proyecto y por haberme incluido, así como a todo el equipo de colegas, traductores y traductoras, revisores y revisoras.
Baptiste Godrie
- Gutiérrez, C.B., Ed. 1995, El trabajo filosófico de hoy en el continente, Actas del congreso interamericano de filosofía, Bogotá, Julio 4 al 9 de 1994, ABC, Bogotá. ↵